Écrit par Salaheddine LEMAIZI
Dans les villages de la province d’Azilal, l’association Voix de la femme amazighe (VFA) mène une campagne de sensibilisation et de plaidoyer pour mettre fin aux mariages des mineures.
Nous sommes en 2018, les villages d’Azilal continuent de vivre une autre époque, hors du temps de celle du reste du Maroc. Les chutes de neige bloquent l’accès à des dizaines de villages. Les autorités locales acheminent les denrées alimentaires par hélicoptères. Les autorités sanitaires, aidées par les hélicoptères de la gendarmerie royale, transportent les personnes souffrantes depuis ces villages enclavés. Dans ces mêmes villages de la province, le mariage des mineurs demeure monnaie courante. L’ONG Voix de la femme amazighe (VFA) a fait le pari de changer ces mentalités. Une bataille qui n’est ni gagnée, ni perdue mais nécessaire d’être menée.
Pauvreté et abandon scolaire
Rabiâ fait partie des centaines de filles de ces villages d’Azilal à subir un mariage de mineurs. Elle s’est mariée et a eu son enfant à l’âge de 15 ans. «J’ai accepté de me marier avec un jeune homme de mon village. Au départ, c’était avec mon accord. Lui et sa famille n’ont pas voulu signer l’acte de mariage. Il a abusé de moi. J’ai eu enfant de lui. C’était pour moi un traumatisme, j’ai tenté de me suicider à trois reprises. Sans le soutien de mon père, je n’aurai jamais pu m’en sortir. Aujourd’hui, j’élève mon enfant seule et je revendique la reconnaissance de mon enfant». C’est par ce témoignage poignant qu’a démarré la session de formation des journalistes de médias locaux et nationaux, tenue les 10 et 11 février à Bin Louidane dans la province d’Azilal. En écoutant ce nouveau témoignage Hadda Khiraoui, membre de VFA et originaire de la région, s’effondre en larmes. Pour cette militante féministe, ces filles mineures sont victimes de la pauvreté dans la région. Elle s’indigne face au paradoxe d’une région «très riche par ses ressources naturelles mais très pauvre». Dans son action de plaidoyer, cette association a mené une enquête de terrain. L’étude de VFA rappelle «l’isolement et la marginalisation dus aux politiques publiques du gouvernement et des collectivités territoriales». Et d’ajouter : «Toutes ces raisons mènent à la déperdition scolaire qui est la première cause du mariage des mineurs». Les statistiques locales de ce phénomène recensées dans la province d’Azilal reflètent une situation à l’échelle nationale. Et cette résistance affichée par les tuteurs de vouloir marier leurs filles mineures. Ces mentalités sont aujourd’hui encouragées par le taux de réponses positives des juges dans la province (91%), un niveau similaire à celui enregistré au niveau national (85%). Au niveau national, les juges ont donné leurs accords pour 35.500 mariages de mineurs en 2015. Les demandes de mariage des filles mineures enregistrées en 2015 ont atteint 414 demandes, dont 377 ont été recevables par les juges du Tribunal de 1re instance d’Azilal. Les magistrats du district local ont rejeté uniquement 27 demandes. En 2016, le nombre de demandes de mariage de filles mineures baisse pour atteindre 330 demandes : 286 demandes ont été recevables contre 44 rejetées. L’étude note «l’existence d’un courant dominant dans la justice qui veut lever l’âge minimal pour marier les mineures afin d’atteindre 17 ans au lieu de 16 ans». La scolarité des filles est un facteur déterminant aux yeux des juges. «Il faut souligner que plusieurs décisions judiciaires d’autorisation pour marier des filles mineures, indiquent que celles-ci ne pratiquent aucun travail et ne poursuivent pas leurs études, parfois même les parents déclarent qu’elles ont dû quitter l’école. C’est parce que dans d’autres cas, le juge de la famille a rejeté des demandes de mariages de filles qui fréquentent l’école», constate cette même étude. Le taux de scolarité des filles dans la province est de 89%. À peine 25% des filles de la province atteignent complètement le niveau primaire. Ce taux baisse dramatiquement au niveau du collège où 7% des filles bouclent ce cycle, sans parler du lycée. 3,5% de l’ensemble des filles de la province ont complété le secondaire qualifiant. Face à ces chiffres, H. Khiraoui insiste sur la responsabilité de l’État : «L’État doit intervenir pour combattre la discrimination et fournir les nécessités de vie et de développement pour la population de ces régions enclavées d’où ces filles sont issues». En conclusion de son étude, l’association martèle ce message : «Le phénomène du mariage des enfants est synonyme de vulnérabilité et de dysfonctionnement de l’État qui manque à ses obligations prévues dans l’article 54 du Code de la famille sur la responsabilité de l’État à prendre les mesures nécessaires pour la protection des enfants et leurs droits conformément à la loi». À travers cette étude, l’association Voix de la femme amazighe entend mobiliser la société civile et surtout les juges de la province.
Mohssine Benzakour,
psychosociologue
Pour moi, l’âge du mariage tel que défini par la Moudawana ne fait pas sens. Le mariage ne doit pas être fixé selon le critère de l’âge mais selon les capacités psychologiques et sociales de la fille. Toute fille qui n’arrive pas à faire des choix bien décidés sur son avenir et pouvoir dire si elle veut et ne veut pas est une mineure. Cette fille peut avoir 17,18, 20 ans, mais encore une fois ce n’est pas un critère déterminant, ce sont plutôt les compétences psychologiques et sociales nécessaires pour lui permettre de décider de son avenir. Cette fille doit être capable de s’extirper de l’emprise de la société locale qui veut décider à sa place, pour ne pas subir un mariage forcé».